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L'Évangile des Ébionites reconstitué

Un nouvel évangile judéo-chrétien pour la fidélité à la Torah et à la voie de Yeshua

Introduction

La tragédie d'un effacement systématique

Pourquoi ces textes ont-ils disparu alors que d'autres écrits “apocryphes” ont survécu ? La réponse réside dans une triple dynamique d'exclusion :

L'institutionnalisation impériale : Le concile de Nicée (325) a défini une orthodoxie trinitaire incompatible avec les christologies judéo-chrétiennes. Les édits de Théodose II (435) et Justinien (527-565) ont systématiquement interdit les “sectes” judéo-chrétiennes, ordonnant la confiscation et la destruction de leurs livres sacrés.

La rupture judéo-chrétienne : À partir du IIe siècle, l'Église s'est progressivement détachée de ses racines juives. L'Adversus Judaeos devient un genre littéraire, et tout ce qui rappelait l'origine juive du christianisme devient suspect. Les mouvements judéo-chrétiens, par leur fidélité à la Torah, incarnaient cette mémoire dérangeante.

La marginalisation géographique : Réfugiés en Transjordanie après 70, puis dispersés entre la Syrie orientale, l'Arabie et la Mésopotamie, les judéo-chrétiens ont été coupés des grands centres chrétiens. Leur isolement a facilité leur oubli et leur assimilation progressive.

La concurrence interne : L'émergence de l'islam (VIIe siècle) a créé une alternative monothéiste attrayante pour les judéo-chrétiens, notamment les Elkesaïtes. Beaucoup ont abandonné leurs spécificités christologiques pour rejoindre la nouvelle religion abrahamique.

Méthodologie : une reconstitution scientifique basée sur les traces historiques

Nature de cette entreprise académique

Cette reconstitution de l'Évangile des Ébionites s'inscrit dans la tradition scientifique de la reconstitution hypothétique à partir de traces fragmentaires, comparable aux méthodes employées en archéologie, paléontologie ou critique textuelle. Tout comme un archéologue reconstitue un vase à partir de tessons ou un paléontologue un squelette à partir d'ossements épars, cette étude reconstitue un texte perdu à partir des fragments et témoignages conservés.

L'Évangile des Ébionites original étant définitivement perdu, cette reconstitution répond à la question méthodologique : “Que pouvons-nous scientifiquement inférer de ce texte à partir des données disponibles ?” Cette démarche s'inscrit dans une tradition académique établie de reconstitution textuelle (source Q, Ur-Markus, textes fragmentaires de Qumrân) et assume sa dimension hypothétique mais rigoureuse.

Fondements scientifiques de la reconstitution :

Cette reconstitution s'appuie sur une méthode rigoureuse intégrant l'apport des autres mouvements judéo-chrétiens :

Données primaires (“tessons” textuels) :

  • Fragments ébionites conservés par Épiphane (Panarion 30.13-22)
  • Citations directes de Jérôme (Commentaire sur Matthieu)
  • Allusions d'Origène (Contre Celse V.61) et d'Eusèbe
  • Sources talmudiques : références à Yeshu dans Sanhedrin 43a, 107b, Shabbat 104b
  • Manuscrits de Qumrân (4Q246, 4Q521, 11Q13) pour les traditions esséniennes
  • Témoignages d'Hippolyte sur les Elkesaïtes (Réfutation IX.13-17)

Méthode de “lecture à contre-courant” : Une source majeure, souvent négligée, provient des polémiques rabbiniques contre Yeshu dans le Talmud babylonien et les Toledot Yeshu médiévaux. Bien que délibérément hostiles, ces textes préservent inadvertamment des traditions sur les actions miraculeuses de Yeshua, confirmant leur circulation dans les milieux judéo-chrétiens.

Exemples de “témoignages involontaires” :

  • Sanhedrin 43a : mention de cinq disciples et de l'exécution à la veille de Pessah
  • Sanhedrin 107b : allusions aux “actes de sorcellerie” (= miracles dans l'optique adverse)
  • Shabbat 104b : accusation de “ramener la magie d'Égypte” (possible écho aux traditions sur l'enfance égyptienne)
  • Toledot Yeshu : récits détaillés de guérisons et prodiges, présentés comme illégitimes

Principe herméneutique : En critiquant spécifiquement certains miracles, ces sources confirment implicitement leur attribution à Yeshua dans les traditions populaires. Un personnage purement fictif ou marginal n'aurait pas suscité une polémique aussi développée. Cette “hostilité documentée” devient ainsi une source précieuse pour reconstituer les traditions ébionites, en inversant le jugement de valeur tout en conservant les éléments factuels.

Données secondaires (contexte archéologique) :

  • Littérature pseudo-clémentine (Homélies et Reconnaissances)
  • Didascalie apostolique et Constitutions apostoliques
  • Parallèles dans l'Évangile de Thomas et les textes de Nag Hammadi
  • Littérature testamentaire et targoums palestiniens

Méthode comparative (stratigraphie textuelle) :

  • Analyse des couches rédactionnelles dans les témoignages patristiques
  • Identification des traditions pré-synoptiques dans les fragments
  • Lecture “à rebours” des polémiques talmudiques : extraction des éléments factuels sous la critique
  • Comparaison avec la littérature rabbinique primitive (Tannaïm) et les traditions orales
  • Étude des survivances dans les sources islamiques du VIIe-Xe siècle
  • Cross-référencement entre sources hostiles chrétiennes, juives et musulmanes

Critères de vraisemblance scientifique :

  • Cohérence doctrinale : respect strict des positions théologiques ébionites documentées
  • Contexte historique : ancrage dans le milieu judéo-palestinien du Ier-IIe siècle
  • Vraisemblance linguistique : utilisation de sémitismes et de tournures attestées
  • Plausibilité narrative : structure évangélique conforme aux modèles connus
  • Limites chronologiques : exclusion de développements postérieurs à 135 CE

Statut épistémologique : Cette reconstitution constitue une hypothèse de travail scientifique – la meilleure approximation possible de ce qu'aurait pu être l'Évangile des Ébionites sur la base des données disponibles. Comme toute reconstitution scientifique, elle reste révisable en fonction de nouvelles découvertes et discutable quant à ses choix méthodologiques, mais s'appuie sur des fondements empiriques solides.

Elle ne prétend pas à l'exactitude littérale (impossible à établir), mais à la vraisemblance historique maximale compte tenu de l'état actuel des connaissances. Son objectif est de donner corps aux “tessons” ébionites dispersés dans la littérature patristique pour permettre une compréhension globale de cette tradition perdue.

Chapitre 1 : Naissance et enfance

Chapitre 1 : Naissance et enfance

Récit narratif

Yosef, charpentier de la maison de David, et son épouse Myriam, quittent Nazareth pour Bethléem sous l'édit de Quirinius. Ils logent chez un parent, car les auberges sont pleines. Yeshua naît à la belle étoile, dans une chambre simple. Myriam l'emmaillote dans des langes de lin. Une voisine, Judith, aide à l'accouchement et murmure : “Quel beau bébé, Dieu merci, Dieu bénisse !”

Huit jours plus tard, la circoncision a lieu à l'aube. Yosef récite : “Élève-le dans Ton alliance, Adonaï.” Au Temple, le prêtre accepte les deux tourterelles des pauvres (Lév. 12:8) et avertit Yosef : “Garde-le des Romains, Archelaüs a les yeux sur les fils de David. Les Hérodes ne pardonnent aucune menace à leur trône.”

La famille retourne à Nazareth. Yeshua grandit entre copeaux de bois et rouleaux de la Torah. Dès l'enfance, il porte l'étincelle divine. On sent déjà dans son regard qu'il a du caractère, comme son ancêtre le roi David : il brille de son amour pour Dieu et la justice. À six ans, il apprend l'aleph-beth avec le rabbin Shimon, qui s'étonne : “Cet enfant questionne la Torah comme un sage !”

À douze ans, lors de la Pâque à Jérusalem, il disparaît dans le Temple. Myriam et Yosef le trouvent au milieu des érudits du Temple de Jérusalem. Selon la tradition, il a étudié la Torah et est déjà considéré comme un adulte ; mais tous sont surpris de voir ce jeune garçon si déterminé pour la justice divine, et avec un si fort amour de Dieu, qu'il appelle Papa (traduction de l'araméen Abba). Un érudit l'interroge sur le sens des sacrifices. Yeshua répond : “Ce que Dieu désire, ce n'est pas le sacrifice, mais la bonté. Ce qu'il recherche, ce n'est pas l'holocauste, mais l'amour et la justice.” Un pharisien murmure : “Jamais un enfant n'a parlé ainsi et en plus il appelle Dieu 'Papa' !” Quand ses parents le réprimandent, il obéit par respect pour ses parents, mais sa foi en Dieu lui donne une grande assurance. Il rentre à Nazareth, son regard empreint de bienveillance, d'assurance et de détermination.

Commentaire théologique et historique

1. Naissance "à la belle étoile" et étincelle divine

Symbolisme : L'étoile évoque la promesse messianique de Nombres 24:17 (“Une étoile sort de Jacob”), sans connotation miraculeuse. Elle rappelle la création (Genèse 1:16) sans les interprétations chrétiennes ultérieures de l'étoile des mages (Matthieu 2). L'étincelle divine est une notion ébionite clé qui puise aux sources juives :

  • Qumrân (1QS III.13-IV.26) : L'“esprit de vérité” (ruach ha-emet) répandu sur les membres de la communauté, lumière divine en l'homme.
  • Reconnaissances clémentines (I, 29) : La “spark divine” présente en tout humain, particulièrement vive en Yeshua en raison de sa droiture morale et de sa lignée davidique.
  • Genèse 1:27 : Création à l'image de Dieu – l'étincelle est l'héritage adamique partagé par tous, mais éveillée en Yeshua.

Sources ébionites : Épiphane (Panarion 30) précise que les ébionites rejetaient les récits de naissance surnaturelle (grotte, anges, étoile guide). Cette formulation respecte leur vision d'une naissance humaine, tout en suggérant discrètement l'élection divine.

2. Noms hébraïques (Myriam/Yosef)

Authenticité historique : Myriam (מִרְיָם) est la forme hébraïque de Marie, attestée dans la Septante et les manuscrits de Qumrân. Yosef (יוֹסֵף) correspond à l'araméen Yōsep, utilisé dans les sources juives (Talmud, Flavius Josèphe).

Portée théologique : L'usage des noms hébraïques ancre le récit dans le judaïsme du Ier siècle, contre l'hellénisation des évangiles canoniques (ex. : Maria en grec).

3. Épisode du Temple (Luc 2:41-52 réinterprété)

Précisions historiques : “Considéré comme un adulte” : Dans le judaïsme du Ier siècle, un garçon de 12 ans (bar mitzvah naissant) était tenu d'observer les commandements (Mishna Avot 5:21). Son statut d'“adulte spirituel” est donc crédible. “Érudits du Temple de Jérusalem” : Désigne les scribes et sadducéens du Sanhédrin (Flavius Josèphe, Antiquités 18), plus précis que “docteurs”.

La réponse sur la bonté et le sacrifice : Source scripturaire : La phrase réinterprète Osée 6:6 (“Je désigne la bonté, non le sacrifice”), en y ajoutant “l'amour et la justice” – deux piliers de la prophétie ébionite (cf. Michée 6:8). Portée ébionite : Cette critique des sacrifices vides est centrale (Épiphane, Panarion 30.18.7). Elle annonce la purification du Temple (Chapitre 4) et la primauté de la foi sur les codes (cf. Reconnaissances clémentines).

L'audace du terme “Papa” (Abba) : Contexte : L'usage d'Abba (אבא) en araméen pour désigner Dieu est attesté dans les prières juives (Talmud Berakhot 40b), mais rare pour un enfant. Cela souligne :

  • La familiarité unique de Yeshua avec Dieu (cf. Marc 14:36, mais sans connotation de “Fils éternel”).
  • Son rejet de la distance hiérarchique imposée par le clergé.

Note linguistique : La traduction “Papa” capture l'intimité et la simplicité du terme araméen, qui n'a pas d'équivalent dans les titres formels hébreux (Adonaï, Elohim).

4. L'assurance dans la foi

Équilibre ébionite : Yeshua demande pardon à ses parents (respect d'Exode 20:12), mais son assurance vient de sa relation intime avec Dieu (“Abba”). Cela reflète la tension ébionite entre obéissance à la Loi et inspiration prophétique.

Sources : Cette dualité rappelle la figure du “serviteur souffrant” d'Isaïe 50:4-9 (“Le Seigneur Dieu m'a donné une langue de disciples… Je ne suis pas en honte”).

5. Regard : bienveillance, assurance, détermination

Symbolisme :

  • Bienveillance : Évoque la miséricorde prophétique (Osée 6:6) et l'humanité de Yeshua.
  • Assurance : Reflète sa confiance en Dieu (“Abba”) et sa conscience d'une mission future.
  • Détermination : Préfigure son zèle pour la justice (cf. la purification du Temple en Matthieu 21:12-13).

Feu dans le cœur : Dans le commentaire, on développe : “Ce 'feu' n'est pas divin, mais prophétique : il symbolise l'ardeur pour la justice (Jérémie 20:9) et l'amour de Dieu qui consume Yeshua, comme tout serviteur de l'Alliance.”

6. Cohérence ébionite globale

Rejets explicites :

  • Aucune naissance virginale (Myriam est “l'épouse de Yosef”).
  • Aucun miracle (pas de sagesse “surnaturelle”, mais une maturité précoce liée à son étude de la Torah).

Ancrage dans la tradition juive : La circoncision, l'offrande des tourterelles, et le débat sur Osée 6:6 soulignent que Yeshua est un Juif fidèle (contre les accusations de “rupture” avec la Loi dans le Talmud, Sanhédrin 107b).

7. Sources historiques complémentaires

Flavius Josèphe (Antiquités judaïques 17) : Décrit le recensement de Quirinius et la méfiance d'Archelaüs envers les prétendants messianiques de la lignée de David. Note sur Hérode : Après la mort d'Hérode le Grand (4 av. J.-C.), son royaume fut divisé entre ses fils : Archelaüs (Judée, Samarie, Idumée), Antipas (Galilée et Pérée), et Philippe (Batanaea, Trachonite, etc.). L'avertissement du prêtre fait référence à cette période de succession trouble où les Hérodes voyaient toute prétendance davidique comme une menace.

  • Mishna Sotah 9:15 : Atteste que les garçons de 12 ans étaient déjà considérés comme responsables de l'observance des commandements.
  • Manuscrits de Qumrân (1QpHab) : La notion de “signe” (ot) comme marque de l'élection divine, réservée aux fidèles de l'Alliance.
  • Psaumes de Salomon 17:21-25 (texte judéo-chrétien du Ier siècle) : “Regarde, ô Seigneur, et élève pour eux leur roi, le fils de David… Qu'il purge Jérusalem des nations qui la détruisent.”

8. Synthèse théologique

Élément Interprétation ébionite Rejet
Naissance Humaine, “à la belle étoile” Récits surnaturels (grotte, anges)
Noms Hébraïques (Myriam/Yosef) Formes hellénisées (Marie/Joseph)
Étincelle divine Présente en tout humain (Gen 1:27) Préexistence divine ou nature unique
Épisode du Temple Sagesse par l'étude de la Torah Manifestation de sagesse divine
“Papa” (Abba) Familiarité prophétique (Marc 14:36) Titre de “Fils de Dieu” au sens divin
Obéissance Respect des parents (Ex 20:12) Subordination à une autorité divine
Regard Qualités humaines (bienveillance…) Attributs divins (gloire, puissance)
Contexte historique Période trouble des successeurs d'Hérode Anachronisme avec Hérode le Grand

Chapitre 2 : Le Baptême et l’Éveil

Récit narratif

Yeshua, désormais âgé de trente ans, quitte l'atelier de charpenterie de Nazareth. Il a entendu parler de Yohanan ben Zekharyah, le fils du prêtre, qui prêche la repentance au bord du Jourdain. Il marche vers Béthanie-au-delà-du-Jourdain, où les pèlerins viennent se purifier avant de monter à Jérusalem.

Yohanan plonge les pénitents dans les eaux sacrées en proclamant : “Faites teshouvah ! Retournez à l'Alliance par le mikveh de purification ! Le Règne des Cieux s'approche !” Sa voix rude résonne dans le désert, rappelant Élie au torrent de Kérith. Scribes et pharisiens viennent l'écouter, mais aussi des publicains et des soldats romains convertis au judaïsme.

Quand Yeshua s'approche, Yohanan scrute son visage et y reconnaît la même lumière que celle qui brillait dans les yeux du jeune garçon au Temple. Il murmure : “Voici celui qui vient après moi, dont je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. Il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu.”

Yeshua entre dans le fleuve sacré. Il accomplit le mikveh selon la halakha : immersion complète, récitation du Shema Israël, puis la bénédiction : “Béni sois-tu, Adonaï notre Dieu, Roi de l'univers, qui nous as sanctifiés par tes commandements et nous as ordonné l'immersion.” L'eau du Jourdain, où Naaman le Syrien fut guéri et où Josué conduisit Israël en Terre Promise, l'enveloppe entièrement.

Quand il remonte, dans le silence de son cœur, les cieux s'ouvrent. L'Esprit de Dieu descend sur lui comme une colombe - signe de paix après le déluge, symbole d'Israël dans le Cantique des Cantiques. Une voix résonne dans son âme, reprenant les mots du Psaume 2 : “Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré. En toi j'ai mis toute ma joie.” C'est l'adoption messianique, l'onction prophétique qui fit de David le roi d'Israël.

Saisi par la grandeur de sa vocation et le poids de la responsabilité, Yeshua se retira dans le désert de Judée. Comme Moïse au Sinaï, comme Élie à l'Horeb, il jeûna quarante jours et quarante nuits, cherchant la volonté du Très-Haut dans le silence du midbar. Par sa foi inébranlable en Dieu, l'Éternel le soutint miraculeusement : il ne mourut pas de faim, comme Moïse nourri par la parole divine, comme Élie fortifié par l'ange dans le désert. Dieu manifestait ainsi qu'Il avait choisi son serviteur et le préparait à sa mission.

Mais les épreuves spirituelles l'assaillirent, car même les plus grands prophètes doivent être purifiés par l'épreuve :

La tentation de l'utilité : Affaibli par le jeûne, il contempla les pierres du désert. Son yetzer hara (mauvais penchant) lui souffla : “Si tu es vraiment le Mashiah, demande à Dieu de transformer ces pierres en pains ! Pourquoi souffrir quand Il peut soulager ta faim par un miracle ?” Mais sa neshamah (âme) lui rappela les paroles de Moïse : “L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de l'Éternel” (Deut. 8:3). Il refusa d'utiliser sa relation privilégiée avec Dieu pour ses besoins personnels, préférant la confiance à l'exigence.

La tentation de la puissance : Contemplant du haut d'une montagne tous les royaumes qui s'étendaient devant lui - Rome, Parthie, Égypte - il fut tenté par la facilité du pouvoir temporel : “Je pourrais demander à Dieu de me donner la puissance sur toutes ces nations, imposer la justice par la force, comme les Maccabées… Pourquoi choisir le chemin de la souffrance ?” Mais il se redressa, fixant l'horizon : “Tu adoreras l'Éternel ton Dieu, et c'est à lui seul que tu rendras un culte” (Deut. 6:13). Il choisit le chemin de l'amour et du service, non celui de la domination.

La tentation de l'orgueil : Sur le pinacle du Temple, dominant la vallée du Cédron, il fut tenté d'exiger des signes spectaculaires : “Si tu es l'Élu, jette-toi ! Dieu fera un miracle éclatant, tous croiront en toi ! Il est écrit que les anges te porteront…” Mais il secoua la tête avec fermeté : “Tu ne tenteras pas l'Éternel ton Dieu” (Deut. 6:16). Il refusa de contraindre Dieu à des prodiges pour sa gloire personnelle et choisit l'humilité du serviteur.

Quand il revint du désert, son visage rayonnait de la paix de celui qui a trouvé sa voie. Ses yeux portaient cette sérénité profonde qui vient de l'abandon total à la volonté divine, mais aussi une nouvelle autorité - celle que donne la proximité avec l'Éternel. Il avait été éprouvé comme l'or au creuset, et Dieu l'avait trouvé fidèle.

Au bord du lac de Galilée, près de Capharnaüm, il aperçut Shimon bar Yona et son frère André, pêcheurs de Bethsaïda, qui raccommodaient leurs filets. Il leur dit avec une douce autorité : “Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes pour le Royaume des Cieux.” Quelque chose dans sa voix, dans son regard transformé par la rencontre divine, les toucha au cœur. L'Esprit de Dieu qui reposait sur lui témoignait silencieusement de son authenticité. Ils abandonnèrent leurs filets et le suivirent, pressentant qu'une nouvelle page de l'histoire du peuple d'Israël s'ouvrait.


Commentaire théologique et historique

1. Le mikveh de Yeshua : purification et onction prophétique

Contexte historique : Le baptême de Jean s'inscrit dans la tradition des ablutions juives (mikvaot) attestées à Qumrân et dans le judaïsme du Second Temple. Flavius Josèphe (Antiquités 18.117) précise que Jean exigeait des candidats qu'ils soient “déjà purifiés dans leur âme par la justice” avant l'immersion corporelle.

Sources ébionites : Les Pseudo-Clémentines (Reconnaissances 1.54) rapportent que les ébionites considéraient le baptême comme un mikveh de teshouvah (immersion de repentance) suivi d'une onction prophétique. L'Évangile des Ébionites (cité par Épiphane, Panarion 30.13) précise que “l'Esprit descend pour oindre au service divin, donnant accès aux dons spirituels comme aux prophètes d'autrefois”.

Authentification rituelle : La formule de bénédiction (“Béni sois-tu, Adonaï…”) suit la structure standard des berakhot juives attestées dans la Mishna (Berakhot 9:3). L'immersion complète (tevilah) et la récitation du Shema étaient prescrites pour les grandes purifications (Talmud Yoma 8:1).

2. L'onction messianique : adoption prophétique et accès aux dons divins

Théologie ébionite de l'adoption : La voix divine cite le Psaume 2:7 : “Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré”, passage messianique par excellence dans le judaïsme du Second Temple (attesté à Qumrân : 4Q174). Cette “génération” est une adoption prophétique, comme pour David (1 Sam. 16:13), donnant accès aux dons spirituels nécessaires à la mission.

Distinction théologique cruciale : Sources patristiques confirmant la doctrine ébionite :

  • Épiphane (Panarion 30.16.4) : “Les ébionites enseignent que Jésus devint Christ au moment du baptême, quand l'Esprit descendit sur lui, lui donnant le pouvoir d'accomplir des signes et des prodiges par la foi”
  • Irénée (Contre les hérésies 1.26.1) : “Ils disent que Jésus était fils de Joseph et de Marie, mais qu'il fut choisi pour être le Christ à son baptême, recevant alors les dons prophétiques”
  • Clément d'Alexandrie (Extraits de Théodote 22) mentionne que certains judéo-chrétiens enseignaient que “l'Esprit donne les charismes, non la divinité”

L'ébionisme rejette la préexistence divine (contre Jean 1:1-14) mais accepte que Yeshua reçoive les mêmes dons que Moïse : accès direct à Dieu, pouvoir d'intercession, capacité d'accomplir des signes par la foi.

3. Les quarante jours : épreuve soutenue par un miracle discret

Parallèles scripturaires et miracles authentiques :

  • Moïse : 40 jours au Sinaï sans manger ni boire (Ex. 34:28) - miracle de subsistance divine
  • Élie : 40 jours de marche jusqu'à l'Horeb, soutenu par la nourriture angélique (1 Rois 19:8) - intervention divine réelle
  • Daniel : Jeûne de 21 jours avec visions prophétiques (Dan. 10:3) - soutien divin attesté

Théologie ébionite du miracle par la foi : Les Homélies pseudo-clémentines (8.15) enseignent que “Dieu accomplit des miracles authentiques à travers ses serviteurs fidèles, non par leur nature divine, mais par leur foi parfaite et leur obéissance”. Le miracle de subsistance de Yeshua est réel, mais s'inscrit dans la tradition prophétique : Dieu soutient miraculeusement ceux qu'Il envoie.

Le midbar comme lieu de transformation : Le désert (midbar) étymologiquement lié à la parole (davar) est le lieu traditionnel où Dieu éprouve et transforme ses élus (Osée 2:16). Les rouleaux de Qumrân attestent cette spiritualité du désert comme lieu de purification et de réception des dons (1QS 8:13-14).

4. Les tentations : combat spirituel et refus de l'orgueil théurgique

Nature des tentations selon la tradition ébionite : Les tentations ne concernent pas l'usage de pouvoirs personnels, mais la relation avec Dieu et l'usage des dons reçus. Chaque tentation porte sur l'éthique du miracle :

Première tentation (l'utilité personnelle) : Enjeu : Utiliser les dons divins pour ses besoins personnels Réponse : Deut. 8:3 - La communion avec Dieu prime sur le confort matériel Leçon ébionite : Les miracles servent la mission de Dieu, non l'intérêt personnel Parallèle : Moïse frappant le rocher pour lui-même (Nombres 20:11) - erreur sanctionnée

Deuxième tentation (la puissance temporelle) : Enjeu : Utiliser les dons divins pour dominer politiquement Réponse : Deut. 6:13 - Adoration exclusive du Très-Haut, rejet de l'idolâtrie du pouvoir Leçon ébionite : Le vrai Mashiah libère spirituellement, non politiquement Parallèle : Samuel refusant que les dons prophétiques servent les ambitions royales (1 Sam. 8)

Troisième tentation (l'ostentation miraculeuse) : Enjeu : Forcer Dieu à faire des miracles spectaculaires pour prouver l'élection Réponse : Deut. 6:16 - Interdiction de mettre Dieu à l'épreuve Leçon ébionite : Les vrais miracles jaillissent de l'amour et de la compassion, non de l'orgueil Parallèle : Élie refusant de faire descendre le feu sur les Samaritains (Luc 9:54)

5. La foi comme source des miracles : doctrine ébionite authentique

Enseignement de Yeshua sur les miracles : Jean 14:12 : “En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes” Matthieu 17:20 : “Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d'ici là, et elle se transporterait”

Interprétation ébionite : Ces paroles confirment que les miracles ne sont pas liés à une nature divine unique, mais à la qualité de la relation avec Dieu. Yeshua possède cette relation de manière exceptionnelle mais non exclusive. Tout disciple authentique peut accéder aux mêmes dons par :

  • La foi ('emounah) - confiance totale en Dieu
  • La pureté (tohorot) - vie selon la Torah
  • La compassion (rahamim) - amour du prochain
  • L'obéissance (shmirat mitzvot) - observance des commandements

Sources patristiques : Épiphane (Panarion 30.18.3) rapporte que les ébionites enseignaient : “Jésus accomplit des miracles par sa foi parfaite, et il promit que ses disciples en feraient autant en suivant sa voie”

6. Modèle prophétique des miracles : continuité avec Moïse et Élie

Typologie biblique : Les miracles de Yeshua s'inscrivent dans la lignée prophétique, non dans une catégorie divine unique :

Prophète Miracles attestés Source de la puissance
Moïse Plaies d'Égypte, mer Rouge, manne, eau du rocher Foi et intercession (Ex. 14:21, Nb. 20:11)
Élie Résurrection, feu du ciel, multiplication Prière et confiance (1 R. 17:22, 18:37)
Élisée Guérisons, multiplications, résurrection Héritage spirituel d'Élie (2 R. 2:14, 4:35)
Yeshua Guérisons, multiplications, domination sur les éléments Foi parfaite et onction messianique

Principe théologique ébionite : Clément Romain (Homélies 2.32) enseigne que “Dieu accorde les mêmes dons à tous ses serviteurs fidèles, selon la mesure de leur foi et les besoins de leur mission”. Yeshua n'est pas ontologiquement différent des prophètes, mais fonctionnellement supérieur par l'amplitude de sa mission et la perfection de sa foi.

7. Rejet des interprétations chrétiennes ultérieures

Contre la christologie de l'incarnation : L'ébionisme rejette l'idée que les miracles prouvent une nature divine incarnée. Ils témoignent de la proximité exceptionnelle de Yeshua avec Dieu, comme Moïse qui parlait “face à face” avec l'Éternel (Ex. 33:11), sans devenir Dieu pour autant.

Contre la christologie paulinienne : Paul présente Jésus comme ayant “la forme de Dieu” (Phil. 2:6). L'ébionisme maintient que Yeshua a les dons de Dieu par adoption et onction, non l'essence de Dieu par nature.

Contre le docétisme : Certains groupes niaient la réalité du corps de Jésus. L'ébionisme affirme la pleine humanité de Yeshua : il souffre réellement dans le désert, mais Dieu le soutient miraculeusement, comme Il soutint ses prophètes.

8. L'autorité spirituelle : charisme prophétique authentique

Transformation au désert : L'épreuve du désert confirme et amplifie l'onction baptismale. Yeshua en ressort avec l'autorité prophétique (samkhut) que les foules reconnaîtront : “Il enseigne comme ayant autorité, non comme les scribes” (Mt. 7:29).

Appel des disciples : La réponse immédiate de Shimon et André témoigne d'un charisme authentique. Dans la tradition juive, les vrais prophètes sont reconnus par :

  • L'autorité spirituelle naturelle (ru'ah ha-qodesh)
  • La conformité à la Torah (Deut. 13:2-5)
  • Les signes confirmatifs (1 R. 18:36-39)
  • L'édification morale du peuple (Jr. 23:22)

Sources qumrâniennes : Les manuscrits de la mer Morte attestent l'attente d'un Messie prophétique doté de charismes, distinct du Messie royal et du Messie sacerdotal (1QS 9:11, 4Q521).

9. Sources historiques et archéologiques

Béthanie-au-delà-du-Jourdain : Site archéologique identifié au Tell el-Kharrar (Jordanie), où des installations baptismales du Ier siècle ont été découvertes. Flavius Josèphe (Antiquités 18.119) confirme l'activité de Jean dans cette région.

Tradition des mikvaot : Les bains rituels découverts à Qumrân, Massada et Jérusalem attestent la pratique généralisée des ablutions juives au temps de Jésus. Certains présentent des aménagements pour des immersions d'onction (escaliers séparés pour descendre et monter).

Témoignage de Flavius Josèphe : Antiquités 18.116-119 confirme l'historicité de Jean-Baptiste et mentionne que certains croyaient que “Dieu soutenait Jean par des signes”, attestant une mentalité où miracles et mission prophétique sont liés.

10. Cohérence ébionite globale sur les miracles

Acceptation ébionite :

  • Miracles réels accomplis par Yeshua
  • Source divine des prodiges (Dieu agit)
  • Médiation par la foi (Yeshua croit parfaitement)
  • Accessibilité aux disciples (promesse de Jean 14:12)
  • Continuité prophétique (comme Moïse, Élie)

Rejets doctrinaux :

  • Nature divine personnelle de Yeshua
  • Pouvoirs intrinsèques indépendants de Dieu
  • Exclusivité ontologique des charismes
  • Miracle comme preuve de divinité
  • Rupture avec la tradition prophétique

Principe théologique central : “Dieu seul fait des miracles, mais Il les accomplit par ses serviteurs fidèles selon leur foi, leur mission et leur obéissance. Yeshua excelle en tout cela, sans être Dieu lui-même.”

11. Synthèse théologique révisée

Élément Interprétation ébionite Rejet
Mikveh Purification rituelle + onction prophétique Sacrement divinisant
Filiation divine Adoption messianique donnant accès aux dons Filiation ontologique éternelle
Esprit Saint Puissance divine conférant les charismes Troisième personne coéternelle
40 jours Miracle de subsistance par la foi (comme Moïse) Nature surhumaine ne nécessitant pas de nourriture
Tentations Éthique de l'usage des dons divins reçus Combat contre des pouvoirs personnels
Miracles Dieu agit par la foi parfaite de son serviteur Pouvoirs divins intrinsèques à Jésus
Autorité Charisme prophétique confirmé par l'épreuve Autorité divine par nature
Promesse Disciples peuvent faire les mêmes œuvres Privilège unique du Fils de Dieu

Chapitre 3 : Ministère en Galilée

Récit narratif

Yeshua parcourut la Galilée, enseignant dans les synagogues et proclamant :

“Le Royaume de Dieu est proche : repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle de l’Alliance !” À Capharnaüm, un lépreux vint à lui, le visage couvert de cicatrices. “Si tu le veux, tu peux me purifier” dit-il, les yeux pleins de foi. Yeshua étendit la main, le toucha – geste interdit par la Loi – et pria : “Père céleste, que ta volonté se fasse !” Une force divine traversa son corps, et la lèpre le quitta instantanément. “Va te montrer au prêtre et offre le sacrifice prescrit par Moïse, en témoignage de ta guérison.” L’homme obéit, et la nouvelle se répandit dans tout le pays. Un jour, assis près du lac, il vit la foule écrasée par la faim et l’injustice. Il monta sur une colline et enseigna : “Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu vous appartient !

Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés !

Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez !

Mais malheur à vous, les riches ! Vous avez reçu votre consolation.

Malheur à vous qui êtes repus ! Vous connaîtrez la faim.

Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.

Donnez à qui vous demande, et ne réclamez rien en retour.

Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.”

Les pharisiens l’observèrent, murmurant : “Il autorise ses disciples à arracher des épis le shabbat !”

Yeshua répondit : “N’avez-vous pas lu ce que fit David, quand il eut faim ? Il entra dans la Maison de Dieu et mangea les pains de proposition, réservés aux prêtres. Le shabbat est fait pour l’homme, non l’homme pour le shabbat.”

Un soir, une femme souffrant d’hémorragies depuis douze ans se fraya un chemin dans la foule. “Si je touche seulement son tsitsit !” pensa-t-elle, le cœur brûlant de foi.

Quand elle effleura son vêtement, Yeshua sentit une puissance divine sortir de lui.

Il se retourna : “Qui m’a touché ?”

Elle tremblante, se jeta à ses pieds.

“Ma fille, dit-il, ta foi t’a sauvée. Va en paix.”

Et l’hémorragie cessa, comme scellée par le ciel.

Alors Yeshua rassembla ses disciples et leur dit :

“Vous avez vu ces signes ? Sachez qu’ils ne viennent pas de moi, mais du Père. Celui qui marche dans l’amour et la confiance inébranlable en Dieu – celui-là accomplira ces miracles et même plus. Car lorsque l’âme de l’homme est proche de Dieu comme l’âme d’un enfant près de son père, le ciel s’ouvre à sa foi.”

Puis, levant les yeux vers eux avec gravité, il ajouta :

“Souvenez-vous de mon chemin, suivez-le, mais ne faites de moi une idole. N’adorez ni moi, ni ma mère Myriam, ni aucun prophète, ni aucun être créé. Car l’Éternel seul est Dieu, et hors de Lui, point de salut. Écoute, Israël : l’Éternel notre Dieu, l’Éternel est Un !”

Commentaire théologique et historique

1. Guérisons : signes de l’Alliance, non preuves de divinité

Théologie ébionite :

Les prodiges sont des actes de Dieu (otot), répondant à une double foi : celle de Yeshua en la puissance de l’Éternel, et celle des malades en la bénédiction divine (cf. Pirqé de Rabbi Eliezer 33).

“Une force divine traversa son corps” : Formule évitant de faire de Yeshua l’auteur du miracle. Il est un canal de la grâce divine, comme les prophètes (Élisée en 2 Rois 5:14).

Sources juives :

Le Talmud (Berakhot 34b) enseigne que les miracles sont possibles quand un tsaddik (juste) unit sa prière à la foi du peuple. Yeshua incarne ce modèle.

Flavius Josèphe (Antiquités 8.45) décrit des guérisons similaires attribuées à des sages juifs, sans connotation messianique.

2. La foi comme clé des délivrances

Double dynamique :

Foi de Yeshua : Sa confiance absolue en Dieu ( emounah sheleimah ) permet à la puissance divine de s’écouler à travers lui (cf. 1 Rois 17:21 où Élie “étendit son corps” sur l’enfant mort).

Foi du malade : La femme hémorroïsse et le lépreux manifestent une bitahon (confiance) qui “attire” la bénédiction (Talmud Sanhédrin 98a).

Rejet du merveilleux chrétien :

Pas de “Je te l’ordonne, lève-toi !” (Marc 1:41). Yeshua prie (“Père céleste”), montrant sa dépendance envers Dieu.

Pas de Ta foi t’a sauvée“ comme formule magique : la guérison est un signe d’alliance (Exode 15:26), non une rémission des péchés (contre Marc 2:5).

3. Guérisons et Torah : un équilibre prophétique

Observance et miséricorde :

Toucher le lépreux (Lévitique 13:45-46) semble violer la Loi, mais Yeshua rétablit l’ordre en envoyant l’homme au prêtre (Lévitique 14). Il agit en prophète (Élisée en 2 Rois 5:10), non en réformateur.

L’offrande prescrite rappelle que la guérison s’inscrit dans le système sacrificiel, contre l’abolition paulinienne (Hébreux 10:8).

Critique du ritualisme vide :

La femme hémorroïsse est guérie malgré son impureté rituelle (Lévitique 15:25-30). Cela annonce la purification du Temple (Chapitre 4) et la primauté de la foi sur les codes (cf. Michée 6:8).

4. Sermon sur la montagne éthique et eschatologie

Inversion des Béatitudes**

“Heureux les pauvres” : Proclamation d’une justice immanente (contre Matthieu 5:3 qui spiritualise la pauvreté). Les ébionites y voyaient une critique des riches collaborateurs de Rome (Épiphane, *Panarion* 30.17.4).

“Malheur aux riches” : Écho d’Amos 6:1-7 et de la tradition des *Anawim* (pauvres de YHWH).

Amour des ennemis

Radicalisation de Lévitique 19:18 (“Tu aimeras ton prochain”), mais sans universalisme : l’amour s’adresse d’abord aux Juifs fidèles (contre Luc 6:27-35).

5. Conflits sur le shabbat : halakha et compassion

Argument davidique :

La référence à David (1 Samuel 21:1-6) est typique des débats *halakhiques* (Talmud *Shabbat* 128b). Yeshua défend une interprétation prophétique : la Loi sert l’humain (*pikuakh nefesh* : sauver une vie prime sur le shabbat).

Rejet du légalisme :

“Le shabbat est fait pour l’homme” : Phrase conservée (Marc 2:27), mais dans un sens juif : la Torah est un don de Dieu, non un fardeau (contre l’abolition paulinienne en Colossiens 2:16).

6. La déclaration clé : universalisation des signes

Texte fondateur :

“Celui qui marche dans l’amour et la confiance… accomplira ces miracles et même plus” : Réécriture ébionite de Jean 14:12, mais :

Pas de “en mon nom” : La puissance vient de la foi en Dieu, non de l’invocation de Yeshua.

Pas de divinisation : Les disciples ne deviennent pas “christs”, mais des *tsaddikim* (justes) dont la foi attire la bénédiction (cf. 1 Rois 17:22 pour Élie).

Métaphore filiale :

“L’âme proche de Dieu comme l’âme d’un enfant près de son père” : Cette image (inspirée du Psaume 103:13) exprime :

La dépendance totale de Yeshua envers le Père (Jean 5:19 réinterprété sans consubstantialité).

La pureté relationnelle qui permet à la grâce divine de s’écouler (cf. Talmud *Sota* 14a).

7. La déclaration anti-idolâtrique : cœur du monothéisme ébionite

Sources scripturaires :

La citation finale du Shema Israël (Deutéronome 6:4) est le fondement absolu du monothéisme juif. Les ébionites la plaçaient au centre de leur foi, contre toute dérive trinitaire ou mariale (Épiphane, *Panarion* 30.12.2).

“N’adorez ni moi, ni ma mère Myriam” : Rejet explicite des premières dévotions mariales (attestées dès le IIe siècle dans le *Protévangile de Jacques*) et de la divinisation de Jésus.

Contexte historique :

Au Ier siècle, les cultes impériaux et les syncrétismes religieux menaçaient le pur monothéisme. Les ébionites voyaient dans le christianisme naissant une forme d’idolâtrie en faisant de Jésus un “second Dieu” (cf. Justin, *Dialogue avec Tryphon* 56).

8. Distinction radicale entre vénération et adoration

Théologie ébionite :

Vénération (kavod) : Permise pour les prophètes, les sages et les justes (cf. le baiser des rouleaux de la Torah dans le judaïsme).

Adoration (avodah zarah) : Réservée à Dieu seul. Yeshua refuse catégoriquement d’être l’objet d’un culte (contre Jean 20:28 où Thomas dit “Mon Seigneur et mon Dieu !”).

Métaphore filiale réaffirmée :

“L’âme d’un enfant près de son père” : Cette image implique une relation de dépendance filiale, non de divinité partagée. L’enfant imite le père, mais ne devient pas “père” lui-même.

9. Rejets explicites

Contre le christianisme :

Pas de “Fils de Dieu” comme titre divin (contre Matthieu 14:33).

Pas de miracles “autonomes” (Yeshua ne dit jamais “Je te l’ordonne”).

Contre le docétisme :

Le corps de Yeshua est réel (“force traversa son corps”), non une apparence (contre les gnostiques).

Contre le paulinisme :

Les miracles ne prouvent pas la divinité du Christ (Romains 1:4), mais la fidélité d’Israël à l’Alliance.

La justification vient des œuvres (aumône, prière, observance), non de la foi seule (Romains 3:28).

10. Sources clés et cohérence historique

  1. Épiphane, *Panarion* 30.17.2 : “Les ébionites disent que le Christ est né humain, et que Dieu l’a choisi pour sa justice.”
  2. Toldot Yeshou (version arabe) : “Yeshua guérissait au nom de Dieu, comme les prophètes, et disait : 'Celui qui croit comme moi fera de plus grandes choses.'“
  3. Pirqé Avot 2:16 : “Ce n’est pas à toi d’achever l’œuvre, mais tu n’es pas libre de t’en détourner” – modèle de la foi active incarnée par Yeshua.
  4. Flavius Josèphe (*Antiquités* 18) : Décrit la Galilée comme un foyer de révolte sociale contre les élites juives et Rome, expliquant l’accent de Yeshua sur la justice.
  5. Manuscrits de Qumrân (1QS) : La “Bonne Nouvelle” (*besorah*) désigne ici l’annonce du retour à l’Alliance, non un message salvifique chrétien.

11. Synthèse théologique

Élément Interprétation ébionite Rejet
————-—————————-———–
Miracles Signes divins par la foi double (Yeshua + malade) Preuves de divinité
Béatitudes Justice immanente pour les pauvres Spiritualisation paulinienne
Shabbat Halakha prophétique (*pikuakh nefesh*) Abolition de la Loi
Amour des ennemis Pour les Juifs fidèles d’abord Universalisme chrétien
“Fils de Dieu” Titre relationnel (adoption au baptême) Nature divine préexistante
Universalisation Tout fidèle peut faire des “plus grands signes” Monopole christique
Adoration Réservée à Dieu seul (Shema) Culte de Jésus, de Marie ou des saints
Rôle de Yeshua Modèle à imiter, non sauveur divin *”Seigneur et Dieu”* (Jean 20:28)
Salut Par l’observance de la Torah Par la foi en la divinité du Christ

Chapitre 4 : Confrontation à Jérusalem

Récit narratif

Yeshua monta à Jérusalem pour la Pâque, accompagné de ses disciples. Aux portes de la ville, il envoya deux d’entre eux: - Allez au village proche ; vous y trouverez une ânesse attachée et son ânon. Détachez-les et amenez-les-moi. Si l’on vous demande quelque chose, dites: Le Seigneur en a besoin. Ils obéirent et amenèrent l’animal. Yeshua monta sur l’ânon, et la foule étendit ses manteaux sur le chemin en criant: - Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom de l’Éternel ! Mais Yeshua, le visage grave, murmura: - Ne criez pas Seigneur ! Je ne suis qu’un serviteur de l’Alliance.

Arrivé au Temple, il trouva les parvis envahis par les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs installés à leurs tables. Fou de colère, il fit un fouet de cordes et les chassa, renversant les tables: - Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations ! Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs ! Les grands prêtres et les scribes murmuraient: - Par quelle autorité fais-tu cela ? Yeshua leur répondit: - Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. Ils rirent: - Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi, tu le relèverais en trois jours ? Mais il parlait du Temple de son corps, c’est-à-dire de la communauté fidèle.

Les sadducéens, qui ne croient pas à la résurrection, s’approchèrent pour le piéger: - Maître, Moïse a prescrit que si un homme meurt sans enfants, son frère épousera la veuve pour donner une postérité. Or, il y avait sept frères. Le premier épousa une femme et mourut sans enfant. Le deuxième l’épousa, puis le troisième, et ainsi jusqu’au septième. Enfin, la femme mourut aussi. À la résurrection, duquel sera-t-elle l’épouse, puisqu’elle a eu sept maris ? Yeshua répondit: - Vous êtes dans l’erreur, ne comprenant ni les Écritures ni la puissance de Dieu. À la résurrection, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel. Quant à la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous dit par Moïse au buisson ardent: Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants !

Le soir venu, Yeshua se réunit avec ses disciples dans une chambre haute pour le repas de la Pâque. Il prit le pain azyme, le bénit, le rompit et le distribua: - Prenez et mangez. Ceci est le pain de l’affliction, mémorial de notre délivrance d’Égypte. Faites cela en mémoire de la sortie d’Égypte, comme Moïse l’a ordonné. Puis il prit la coupe de vin, rendit grâce et la leur donna: - Ceci est la coupe de l’Alliance, scellée par le sang des agneaux sacrifiés. Buvez-en en mémoire de la libération promise. Il se leva alors, lava les pieds de ses disciples et dit: - Si je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car le serviteur n’est pas plus grand que son maître.

Avant de sortir pour le mont des Oliviers, il les avertit solennellement: - Quand vous verrez Jérusalem encerclée par les armées, sachez que sa dévastation est proche. Alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes ! Qu’ils ne reviennent pas en arrière ! Car ce seront des jours de vengeance, où tout ce qui est écrit sera accompli. Mais ne vous troublez pas: l’Éternel gardera les siens. Et quand vous verrez toutes ces choses, levez la tête et relevez-vous, car votre délivrance approche.

Commentaire théologique et historique

1. Entrée triomphale: accomplissement prophétique sans divinisation

- Sources scripturaires:

L'épisode réinterprète Zacharie 9:9 (Voici ton roi vient à toi, juste et victorieux, monté sur un âne), mais sans acclamations divines. Les Hosanna sont une supplication hébraïque (Hoshiya na = Sauve, je t'en prie), non une proclamation de divinité (contre Jean 12:13).

- Théologie ébionite:

Je ne suis qu'un serviteur de l'Alliance: Cette correction radicale rejette toute titulature divine. Yeshua se présente comme un navi (prophète) accomplissant les Écritures, non comme le Seigneur (Adonaï) ou le Fils de David au sens messianique politique.

- Contexte historique:

L'entrée à Jérusalem pendant la Pâque était un acte prophétique symbolique, similaire à celui de Zacharie (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs 6.301). Les ébionites rejetaient l'interprétation chrétienne d'une entrée royale (Épiphane, Panarion 30.22.1).

2. Purification du Temple: critique du ritualisme vide

- Sources prophétiques:

La citation Ma maison sera appelée maison de prière vient d'Ésaïe 56:7, et caverne de voleurs de Jérémie 7:11. Cette double référence ancre l'acte dans la tradition prophétique de dénonciation des cultes sans justice (Osée 6:6, Amos 5:21-24).

- Théologie ébionite:

La colère de Yeshua n'est pas dirigée contre le Temple lui-même (contrairement à Marc 11:15-17 qui suggère son obsolescence), mais contre la corruption des prêtres qui ont perverti son rôle de lieu de prière pour toutes les nations. Les ébionites voyaient dans cet acte un appel à la purification du culte, non son abolition (Reconnaissances clémentines I, 68).

- Rejet du surnaturel:

Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai: Réinterprété comme une métaphore communautaire (le Temple = corps des fidèles), non comme une prédiction de résurrection ou un miracle architectural. Cette lecture correspond à la théologie ébionite qui rejette toute idée de destruction/reconstruction littérale (contre Jean 2:19-21).

3. Débat avec les sadducéens: résurrection et Torah

- Sources scripturaires:

La question des sept maris est une parodie du lévirat (Deutéronome 25:5-10), utilisée par les sadducéens pour ridiculiser la croyance en la résurrection. La réponse de Yeshua cite Exode 3:6 (Je suis le Dieu d'Abraham…) pour prouver que Dieu est Dieu des vivants, donc que les patriarches sont vivants pour Lui.

- Théologie ébionite:

On est comme les anges: Cette formulation rejette la résurrection corporelle (doctrine pharisienne) au profit d'une immortalité spirituelle proche de la philosophie grecque ou des esséniens (Flavius Josèphe, Guerre 2.154). Les ébionites, influencés par les esséniens, voyaient la résurrection comme une purification de l'âme, non une restauration physique (Pseudo-Clémentines IV, 22).

- Rejet paulinien:

Contrairement à 1 Corinthiens 15:42-44 où Paul décrit un corps spirituel, les ébionites insistent sur l'immatérialité totale des ressuscités. Pour eux, la résurrection est un retour à l'état angélique originel (cf. Livre d'Hénoch).

4. Dernière Pâque: mémorial de l'Alliance, pas d'eucharistie

- Sources juives:

Le rituel décrit suit strictement la Pâque juive (Exode 12:1-28): pain azyme (matzah), coupe de vin, récit de la sortie d'Égypte (Haggadah). Aucune institution eucharistique: pas de ceci est mon corps/sang, pas de commandement de répéter le geste en mémoire de moi (contre Marc 14:22-24).

- Théologie ébionite:

Faites cela en mémoire de la sortie d'Égypte: Le mémorial est centré sur l'événement fondateur d'Israël, non sur la mort de Yeshua. La coupe est celle de l'Alliance sinaïtique (Exode 24:8), non d'une nouvelle alliance qui abrogerait la première (contre Luc 22:20).

- Lavage des pieds:

Le serviteur n'est pas plus grand que son maître: Cet acte incarne l'éthique ébionite de l'humilité et du service mutuel, inspirée de l'exemple de Moïse (Nombres 12:3) et du serviteur d'Isaïe 53. Il rejette toute hiérarchie cléricale (contre la papauté naissante).

5. Discours eschatologique: jugement de Jérusalem et espérance

- Sources prophétiques:

L'avertissement sur Jérusalem reprend Daniel 9:26 (la dévastation) et Ésaïe 13:7-8 (jours de vengeance). La fuite dans les montagnes évoque la tradition des Yavneh (centre rabbinique après 70 ap. J.-C.).

- Théologie ébionite: L'Éternel gardera les siens: La délivrance promise est pour la communauté fidèle (les Anawim, pauvres de YHWH), non pour une Église universelle. Votre délivrance approche désigne le jugement final et l'avènement du Royaume, non la parousie chrétienne.

- Contexte historique: Ce discours reflète les tensions pré-70: révoltes juives contre Rome, persécutions des chrétiens judéens par les autorités juives, et attente messianique dans un contexte de crise (Flavius Josèphe, Guerre 6.285-315).

6. Cohérence globale ébionite

- Rejets explicites:

  1. Divinité de Jésus: Aucun titre divin, aucune prétention à l'omnipotence.
  2. Nouvelle alliance: La Pâque reste le mémorial de l'Exode, pas de l'institution eucharistique.
  3. Résurrection corporelle: Conçue comme spiritualisation, non restauration physique.
  4. Abolition de la Loi: Toute l'action se situe dans le cadre de la Torah et du Temple.

- Ancrage dans la tradition juive:

  1. Entrée triomphale: Accomplissement de Zacharie 9:9.
  2. Purification du Temple: Références à Ésaïe et Jérémie.
  3. Débat sur la résurrection: Utilisation de la Torah (Exode 3:6).
  4. Dernière Pâque: Respect du rituel lévitique.

7. Sources historiques complémentaires

- Épiphane, Panarion 30.22.3:

Les ébionites disent que le Temple fut détruit à cause des péchés des prêtres, et que Jésus en avait prophétisé la ruine.

- Pseudo-Clémentines (Homélies 3.50):

Le vrai Temple est l'assemblée des justes, non les pierres de Jérusalem.

- Flavius Josèphe (Antiquités 18.19):

Décrit la corruption du grand prêtre Caïphe et des marchands du Temple.

- Talmud Pesahim 57a:

Critique des sadducéens qui vendaient les sacrifices à prix d'or.

8. Synthèse théologique

Épisode Interprétation ébionite Rejet
—————————————-
Entrée triomphale Accomplissement prophétique (Zacharie 9:9) Acclamations divines, titres messianiques
Purification du Temple Appel à la justice cultuelle Destruction/abrogation du Temple
Détruisez ce Temple Métaphore communautaire Prédiction littérale ou résurrection
Débat sadducéen Résurrection comme spiritualisation Résurrection corporelle
Dernière Pâque Mémorial de l'Exode (Exode 12) Institution eucharistique
Lavage des pieds Éthique du service mutuel Hiérarchie sacerdotale
Discours eschatologique Jugement de Jérusalem + espérance pour les fidèles Parousie chrétienne

Chapitre 5 : Passion et Résurrection spirituelle

Récit narratif

Après le repas, Yeshua sortit avec ses disciples vers le mont des Oliviers. Il leur dit: - Cette nuit, vous tous vous trahirez. Car il est écrit: Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. Pierre lui répondit: - Même si tous tombent, moi je ne tomberai pas. Yeshua lui dit: - En vérité, je te le dis, cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois.

Arrivé à Gethsémané, Yeshua s'éloigna pour prier. Il tomba face contre terre, en proie à une angoisse profonde: - Mon Père, s'il est possible, éloigne de moi cette coupe. Pourtant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. Il revint vers ses disciples et les trouva endormis. Il dit à Pierre: - Ainsi, vous n'avez pas veillé une heure avec moi ? Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation.

Soudain, une foule armée d'épées et de bâtons arriva, menée par Juda l'Iscariote. Celui-ci s'approcha de Yeshua et l'embrassa: - Salut, Rabbi. Yeshua lui dit: - Juda, c'est par un baiser que tu trahis le Fils de l'Homme ? Les gardes se jetèrent sur Yeshua et l'arrêtèrent. Un de ses disciples tira son épée et frappa le serviteur du grand prêtre, lui coupant l'oreille. Yeshua dit: - Remets ton épée à sa place. Car tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée.

Ils emmenèrent Yeshua chez Caïphe, le grand prêtre, où les scribes et les anciens s'étaient rassemblés. Les faux témoins s'avancèrent: - Il a dit: Je peux détruire le Temple de Dieu et le rebâtir en trois jours. Caïphe se leva et dit: - Je t'adjure par le Dieu vivant, dis-nous si tu es le Mashiah, le Fils de Dieu. Yeshua répondit: - Tu l'as dit. Mais je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l'Homme siéger à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. Caïphe déchira ses vêtements en criant: - Il est le Roi ! Rome le tuera ! INRI ! Nous perdons notre Mashiah ! Malheur à nous !

Le matin, ils conduisirent Yeshua devant Ponce Pilate, le gouverneur romain. Pilate lui demanda: - Es-tu le roi des Juifs ? Yeshua répondit: - Tu le dis. Pilate dit aux grands prêtres et à la foule: - Je ne trouve aucun crime en cet homme. Mais ils criaient plus fort: - Il soulève le peuple ! Il se déclare roi, Mashiah ! Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais qu'au contraire une émeute naissait, prit de l'eau et se lava les mains devant la foule: - Je suis innocent du sang de ce juste. C'est votre affaire. Tout le peuple répondit: - Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !

Alors Pilate fit délivrer Yeshua pour être flagellé. Les soldats tressèrent une couronne d'épines, la posèrent sur sa tête, et le revêtirent d'un manteau pourpre. Ils se mirent à genoux devant lui: - Salut, roi des Juifs ! Ils lui frappaient la tête avec un roseau et crachaient sur lui. Puis ils le menèrent au Golgotha pour le crucifier.

Ils mirent sur sa croix l'inscription: INRI - Yeshua le Nazaréen, Roi des Juifs, écrite en hébreu, latin et grec. Deux brigands furent crucifiés avec lui, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. À la sixième heure, Yeshua s'écria: - Éli, Éli, lema sabachthani ? ce qui signifie: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? L'un des brigands crucifiés l'injuriait: - N'es-tu pas le Mashiah ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! Mais l'autre le réprimanda: - Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous, c'est juste, car nous recevons ce que nos actes ont mérité. Mais lui n'a rien fait de mal. Puis il dit à Yeshua: - Yeshua, souviens-toi de moi quand viendra le Royaume. Yeshua lui répondit: - En vérité je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis.

À la neuvième heure, Yeshua cria d'une voix forte: - Père, entre tes mains, je remets mon esprit ! Et il expira.

Un riche disciple de Yeshua, Joseph d'Arimathie, alla trouver Pilate et demanda le corps de Yeshua. Pilate permit à Joseph de prendre le corps. Joseph l'enveloppa dans un linceul propre et le déposa dans son tombeau neuf, creusé dans le roc. Il roula une grande pierre à l'entrée du tombeau et s'en alla.

Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l'autre Marie vinrent au tombeau de grand matin. Elles trouvèrent la pierre roulée et le tombeau vide. Un jeune homme vêtu de blanc leur dit: - Ne soyez pas effrayées. Vous cherchez Yeshua de Nazareth ? Il n'est pas ici. Il est ressuscité comme il l'avait dit. Allez dire à ses disciples qu'il vous précède en Galilée. C'est là que vous le verrez.

Les femmes s'en allèrent vite du tombeau, tremblantes, et coururent porter la nouvelle aux disciples. Ce soir-là, alors qu'ils étaient réunis à Jérusalem, Yeshua se tint au milieu d'eux et dit: - Paix à vous. Ne craignez point. Mais ils étaient troublés, croyant voir un esprit. Il leur montra ses mains et son côté et dit: - Regardez mes mains et mes pieds. C'est bien moi. Touchez-moi et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os. Alors ils se réjouirent, mais doutaient encore.

Quand les onze disciples arrivèrent en Galilée, ils virent Yeshua sur la montagne où il leur avait dit de venir. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes. Yeshua s'approcha et leur dit: - Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc et faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde.

Puis il les conduisit jusqu'à Béthanie. Il leva les mains et les bénit. Pendant qu'il les bénissait, il fut élevé au ciel. Un nuage le déroba à leurs yeux. Et voici que deux hommes en vêtements blancs se tinrent près d'eux et dirent: - Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous à regarder le ciel ? Ce Yeshua qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, en reviendra de la même manière que vous l'avez vu s'en aller au ciel.

Commentaire théologique et historique

1. Arrestation et procès: complot politique, pas religieux

- Contexte historique: L'arrestation de Yeshua s'inscrit dans le contexte des troubles messianiques sous Ponce Pilate (Flavius Josèphe, Antiquités 18.63). Les grands prêtres sadducéens, nommés par Rome, craignaient tout mouvement populaire qui pourrait provoquer une intervention militaire romaine (Jean 11:48).

- Théologie ébionite: Tu l'as dit: Cette réponse évasive est typique de la prudence ébionite. Yeshua ne revendique pas explicitement la royauté, mais ne la nie pas, laissant ses accusateurs tirer leurs conclusions (Pseudo-Clémentines, Homélies 3.50). Le Fils de l'Homme siéger à la droite de la Puissance est une référence à Daniel 7:13, mais dans un sens futuriste et communautaire, pas immédiat ou divin.

- Déchirement des vêtements: Le geste de Caïphe est un deuil rituel (kriah) pour la perte du Messie reconnu (Talmud Mo'ed Katan 27b). Il comprend tragiquement qu'en reconnaissant Yeshua comme Mashiah, il scelle sa condamnation à mort par Rome (INRI). Ce n'est pas une réaction à un blasphème, mais à la prise de conscience politique (Reconnaissances clémentines, Recognitiones I, 70).

2. Comparution devant Pilate: accusation politique

- Sources romaines: La procédure devant Pilate suit le droit romain où le crime de lèse-majesté (maiestas) était puni de crucifixion (Tacite, Annales 15.44). L'accusation “il se déclare roi” est une infraction politique grave contre l'autorité impériale.

- Théologie ébionite: Tu le dis: Cette réponse maintient l'ambiguïté politique. Pour les ébionites, Yeshua est bien le roi davidique légitime, mais son royaume n'est pas de ce monde (Pseudo-Clémentines, Homélies 11.35). Le lavage des mains de Pilate est un acte lâche, mais qui reconnaît l'innocence de Yeshua (Évangile des Hébreux, cité par Jérôme, De vir. ill. 2).

- Rejet paulinien: Contrairement à 1 Timothée 6:13 qui présente Pilate comme témoin de la divinité du Christ, les ébionites voient en lui un représentant corrompu du pouvoir païen (Épiphane, Panarion 30.12.2).

3. Crucifixion: exécution d'un roi, pas sacrifice divin

- Contexte historique: La crucifixion était réservée aux esclaves et rebelles (Sénèque, De Ira 3.32). L'inscription INRI (Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum) était un avertissement politique typique (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs 2.172).

- Théologie ébionite: Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?: Cette reprise du Psaume 22:1 exprime l'angoisse humaine face à la mort, pas une séparation d'avec un Père divin (Pseudo-Clémentines, Recognitiones IV, 15). La promesse au brigand repentant (aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis) évoque le repos des justes (Gan Eden), pas une divinisation.

- Rejet de l'expiation: Contrairement à Romains 3:25 qui fait de la mort un sacrifice expiatoire, les ébionites y voient un meurtre politique d'un juste (Épiphane, Panarion 30.16.4). Le sang de Yeshua scelle l'Alliance nouvelle (Jérémie 31:31), mais n'efface pas les péchés.

4. Résurrection: apparition spirituelle, pas corporelle

- Sources ébionites: Les ébionites rejetaient la résurrection corporelle et le tombeau vide (Épiphane, Panarion 30.13.2). Pour eux, les apparitions étaient des visions spirituelles, similaires à celles des prophètes (1 Rois 19:9). L'Évangile des Hébreux décrivait une apparition à Jacques “le juste” sans mention de tombeau vide (Jérôme, De vir. ill. 2).

- Théologie ébionite: Il est ressuscité comme il l'avait dit: Cette résurrection est spirituelle, la confirmation que Yeshua vit en Dieu et dans la communauté des fidèles (Reconnaissances clémentines III, 30). Le jeune homme vêtu de blanc et le tombeau vide sont des symboles théophaniques, pas des événements physiques.

- Rejet du christianisme: Contre Luc 24:39 qui décrit un corps tangible, les ébionites insistent sur la nature spirituelle des apparitions (Pseudo-Clémentines, Homélies 17.19). La formule Allez donc et faites de toutes les nations des disciples est considérée comme une interpolation paulinienne.

5. Ascension et mission: universaliste ou particulariste?

- Contexte historique: L'ascension est absente des premiers évangiles (Marc se termine à 16:8). Elle apparaît dans Luc-Actes pour justifier le retard de la parousie (Épiphane, Panarion 30.14.1).

- Théologie ébionite: Il fut élevé au ciel: Pour les ébionites, l'ascension symbolise la disparition de Yeshua, pas une élévation corporelle (Pseudo-Clémentines, Recognitiones IV, 35). La mission est pour Israël d'abord, pas pour les nations (Matthieu 10:5-6).

- Rejet de la Trinité: La formule baptismale au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit est considérée comme une falsification paulinienne. Les ébionites baptisaient au nom de Yeshua seul ou du Père (Épiphane, Panarion 30.18.7). L'Évangile des Hébreux mentionnait un baptême “au nom du Père” seulement (Jérôme, Commentaire sur Ésaïe 11:2).

6. Cohérence globale ébionite

- Rejets explicites:

  1. Divinité de Jésus: Toujours présenté comme humain, mort comme un martyr.
  2. Résurrection corporelle: Rejetée au profit d'une présence spirituelle.
  3. Mission universelle: Limitée aux Juifs fidèles, contre le mandat paulinien.
  4. Sacrifice expiatoire: La mort est politique, pas salvifique.

- Ancrage dans la tradition juive:

  1. Procès: Références à Daniel 7:13 et Psaume 22.
  2. Crucifixion: Accomplissement des Écritures (Psaume 22, Zacharie 12:10).
  3. Résurrection: Conforme à la tradition prophétique (Osée 6:2).

7. Sources historiques complémentaires

- Flavius Josèphe, Antiquités 18.63-64: Témoin oculaire de l'exécution de “Jésus, dit le Christ” par Pilate, dans un contexte de troubles messianiques.

- Pseudo-Clémentines (Homélies 11.35): Les ébionites décrivaient la mort de Yeshua comme un assassinat politique des prêtres corrompus, avec son esprit vivant dans la communauté.

- Évangile des Hébreux (cité par Jérôme, De vir. ill. 2): Version judéo-chrétienne de la résurrection comme apparition spirituelle à Jacques “le juste”.

- Épiphane, Panarion 30.15.3: Les ébionites disent que Yeshua fut crucifié parce qu'il était considéré comme roi des Juifs, non comme Dieu.

8. Note sur les sources

Les références au Talmud (Sanhédrin 43a, Toldot Yeshou) ne figurent pas dans cette reconstitution car: 1) Rédigées entre le Ve et le Moyen Âge, dans un contexte de polémiques anti-chrétiennes 2) Décrivent un “Yeshou” légendaire éloigné du Jésus historique 3) Sont des réponses aux accusations chrétiennes contre le judaïsme Pour la perspective ébionite, les sources judéo-chrétiennes (IIe-IVe siècles) et Flavius Josèphe (Ier siècle) sont plus pertinentes.

9. Synthèse théologique

Épisode Interprétation ébionite Rejet
—————————————-
Arrestation Trahison de Juda, complot politique Trahison prophétique
Procès devant Caïphe Reconnaissance tragique du Messie Accusation de blasphème
Procès devant Pilate Accusation politique (roi des Juifs) Témoignage pour la divinité
Crucifixion Exécution d'un rebelle politique Sacrifice expiatoire
Derniers mots Abandon humain (Psaume 22) Abandon divin
Résurrection Apparitions spirituelles Tombeau vide, corps physique
Ascension Disparition symbolique Élévation corporelle
Mission Pour les Juifs fidèles d'abord Universalisme paulinien
Formule baptismale Au nom de Yeshua seul Formule trinitaire

Conclusion

Conséquences théologiques : repenser les fondations

La redécouverte de la tradition ébionite bouleverse plusieurs piliers de la théologie chrétienne dominante. D'abord, elle replace Yeshua dans son contexte juif du Ier siècle, non comme fondateur d'une nouvelle religion, mais comme réformateur dans le cadre de l'Alliance mosaïque. Cette perspective ébranle la doctrine de la Trinité, puisque pour les ébionites, Yeshua était pleinement humain, “Fils de Dieu” par adoption et non par nature.

Ensuite, elle remet en question l'opposition classique entre “loi et grâce”. Pour les ébionites, la Torah n'était pas abolie mais accomplie dans la justice sociale et l'amour du prochain. Cette vision offre une alternative aux débats stériles sur l'antinomie paulinienne, proposant une synthèse où observance et foi se complètent plutôt que de s'exclure.

Enfin, la conception ébionite de la résurrection comme présence spirituelle plutôt que physique invite à repenser l'eschatologie chrétienne, moins comme un événement cosmique que comme une réalité présente dans la communauté fidèle.

Conséquences œcuméniques : un pont entre traditions

Sur le plan interreligieux, cette reconstitution ouvre des perspectives inédites pour le dialogue judéo-chrétien. En montrant que les premiers disciples de Yeshua vivaient comme des Juifs observants, elle déconstruit l'idée d'une rupture nécessaire entre judaïsme et christianisme.

Les ébionites nous rappellent que ce que nous appelons “christianisme” a failli devenir simplement une branche messianique du judaïsme. Cette reconnaissance permet aux chrétiens de redécouvrir leurs racines juives et aux juifs de voir en Yeshua une figure plus conforme à leur tradition que le “Christ” du christianisme dominant.

Le théologien catholique Jacques Dupuis soulignait que “l'Église a besoin de redécouvrir sa dimension judéo-chrétienne primitive pour surmonter ses tendances universalistes abstraites”. La voie ébionite offre précisément cette ancre historique et théologique.

Conséquences contemporaines : un modèle alternatif

Au-delà des cercles académiques et religieux, la redécouverte ébionite offre des modèles inspirants pour notre époque :

Justice sociale : L'accent ébionite sur la préférence pour les pauvres et la critique des systèmes économiques oppressifs résonne avec les théologies de la libération et les mouvements sociaux contemporains. Écologie intégrale : La vision ébionite de la création comme bonne et à respecter (contre les tendances gnostiques à déprécier le monde matériel) offre des fondements bibliques solides à l'éthique environnementale. Communautés alternatives : Le modèle ébionite de communautés égalitaires partageant leurs biens inspire les écovillages, les communautés intentionnelles et les mouvements économiques solidaires. Décentralisation du pouvoir : La critique ébionite des hiérarchies religieuses et leur insistance sur l'autorité spirituelle plutôt qu'institutionnelle résonne avec les aspirations démocratiques contemporaines.

Vers une réconciliation des traditions

Ce livre n'appelle pas à un retour littéral à l'ébionisme, mais à une intégration de ses intuitions fondamentales dans la pensée chrétienne contemporaine. Comme le suggère l'historien Paula Fredriksen, nous avons besoin de “décoloniser notre imagination théologique” pour accueillir la diversité des origines chrétiennes.

La conséquence ultime de cette redécouverte pourrait être un christianisme plus humble, plus juif dans ses racines, plus engagé dans la justice sociale, et plus respectueux de la diversité religieuse. Un christianisme qui, comme Yeshua dans notre récit, refuse d'être adoré comme une idole et pointe toujours vers le Dieu Unique.

En fin de compte, l'héritage ébionite nous rappelle que la vérité n'est pas détenue par une seule tradition, mais se trouve dans le dialogue respectueux entre différentes manières de chercher Dieu. Comme le dit le prophète Michée (6:8) cité avec faveur par les ébionites : “On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que l'Éternel exige de toi : rien d'autre que de pratiquer la justice, d'aimer la miséricorde, et de marcher humblement avec ton Dieu.”

C'est cette voie humble et juste que ce livre invite à redécouvrir.

Je vais faire l'introduction et la conclusion. Peux-tu faire l'appendice sur l'évangile des hébreux

Appendice : L'Évangile des Hébreux - Témoignage d'un christianisme oublié

Introduction

Bien que perdu depuis le Ve siècle, l'Évangile des Hébreux constitue la source la plus directe de notre reconstitution ébionite. Ce texte, rédigé en hébreu/araméen pour les communautés judéo-chrétiennes de Palestine et de Syrie (IIe-IVe siècles), nous offre un aperçu unique de la théologie des premiers disciples de Yeshua. Les fragments survivants, cités par les Pères de l'Église principalement pour le réfuter, révèlent un Yeshua profondément juif dont le message défiait déjà les tendances qui deviendraient dominantes dans le christianisme.

Sources et témoignages

Les 20 citations conservées proviennent principalement de deux auteurs qui, ironiquement, cherchaient à combattre l'influence de ce texte :

Jérôme (347-420)

Dans ses commentaires bibliques et son ouvrage *De viris illustribus*, Jérôme cite 15 fragments de l'Évangile des Hébreux. Bien qu'il le considère comme “corrompu par les hérétiques”, ses citations sont notre source la plus précieuse. Il écrit : *”Il existe un évangile en langue hébraïque, que les Nazaréens et les Ébionites utilisent et qu'ils appellent l'Évangile selon les Hébreux. Je pense que c'est l'Évangile de Matthieu, traduit en hébreu, bien qu'il diffère en plusieurs endroits.“* (De viris illustribus 2)

Origène (185-253)

Origène, dans ses commentaires sur le Nouveau Testament, cite 5 fragments. Il reconnaît l'autorité du texte chez certaines communautés : *”Il existe un évangile appelé 'selon les Hébreux', que certains considèrent comme authentique. Il diffère en plusieurs points de celui que nous avons.“* (Commentaire sur Jean 2:12)

Fragments théologiques majeurs

1. Nature du Christ : adoptionnisme, pas préexistence

*”Une lumière descendit sur lui, et une voix dit : 'Mon Fils, en toi j'ai mis ma complaisance'“* (Jérôme, Commentaire sur Ésaïe 11:2)

Signification : - Version adoptionniste du baptême (Psaume 2:7) - Rejet de la préexistence et de la naissance virginale - L'Esprit “repose” sur lui (comme sur les prophètes), pas d'incarnation

2. Observance de la Torah : intégrale, pas abolie

*”Je suis venu pour abolir les sacrifices, mais non pour abolir la Loi“* (Jérôme, Commentaire sur Matthieu 12:13)

Signification : - Critique des sacrifices vides (cf. Osée 6:6) - Maintien intégral de l'observance mosaïque - Opposition directe à la théologie paulinienne de l'abrogation (Romains 10:4)

3. Résurrection : spirituelle, priorité à Jacques

*”Le Seigneur remit le linceul à Jacques le Juste après sa résurrection“* (Jérôme, De viris illustribus 2)

Signification : - Apparition d'abord à Jacques “le Juste”, frère de Yeshua - Pas de mention du tombeau vide ou d'apparitions corporelles - Confirmation de l'autorité de Jacques sur la communauté de Jérusalem

4. Prière du Seigneur : immanence divine

*”Notre Père qui es aux cieux et sur terre“* (Jérôme, Commentaire sur Matthieu 6:9)

Signification : - Version plus proche de la tradition hébraïque - Théologie immanente (Dieu présent sur terre) - Contre la transcendance radicale de la version grecque

5. Élection communautaire

*”Je vous ai choisis comme le Père m'a choisi“* (Jérôme, Commentaire sur Amos 2:2)

Signification : - Élection mutuelle entre Dieu et la communauté - Modèle de relation d'alliance, pas de grâce inconditionnelle - Insistance sur la réponse humaine à l'élection divine

6. Justice sociale

*”Quiconque a colère contre son frère sans raison sera jugé“* (Origène, Commentaire sur Matthieu 5:22)

Signification : - Accent sur la justice sociale et les relations humaines - Approche plus concrète que la version matthéenne - Lien direct entre observance de la Torah et éthique sociale

Influence sur les évangiles canoniques

Plusieurs parallèles suggèrent fortement que l'Évangile des Hébreux a influencé Matthieu et Luc :

Parallèles avec Matthieu

Élément Évangile des Hébreux Matthieu canonique
——————————-——————-
Notre Père “aux cieux et sur terre” “aux cieux” (6:9)
Baptême Voix “Mon Fils” Voix “Mon Fils bien-aimé” (3:17)
Jacques Autorité prioritaire Mention comme “frère du Seigneur” (13:55)
Torah “Ne pas abolir” “Ne pas abolir” (5:17)

Parallèles avec Luc

Élément Évangile des Hébreux Luc canonique
——————————-—————-
Résurrection Apparition à Jacques Apparitions variées (24:13-49)
Justice Colère = jugement Colère = jugement (12:58)
Élection Modèle d'alliance Parabole des invités (14:15-24)

Pourquoi ce texte fut considéré comme dangereux

Menaces théologiques

Doctrine Position ébionite Menace pour le christianisme dominant
————————————————————–
Christologie Adoptionniste Contre la divinité du Christ
Loi Observance intégrale Contre l'abrogation paulinienne
Autorité Jacques à Jérusalem Contre la primauté pétrine/romaine
Résurrection Spirituelle Contre la résurrection corporelle
Salut Œuvres + foi Contre la justification par la foi seule

Réactions des Pères de l'Église

- Jérôme : *”Les hérétices l'appellent l'Évangile des Hébreux, mais c'est l'œuvre de corrupteurs qui ont altéré la vérité“* (Lettre à Pammachius) - Épiphane : *”Ils utilisent un évangile apocryphe en hébreu, différent du nôtre en plusieurs points“* (Panarion 30.3.7) - Irénée : *”Certains rejettent Paul et utilisent l'Évangile selon Matthieu en hébreux“* (Contre les hérésies III.11.7)

Tentatives modernes de reconstitution

Travaux académiques majeurs

1. James R. Edwards (*The Hebrew Gospel and the Development of the Synoptic Tradition*, 2009)

  1. Reconstitue 70% du texte à partir des citations
  2. Démontre l'antériorité sur Matthieu

2. Pierre-Antoine Bernheim (*Jacques, frère de Jésus*, 1996)

  1. Utilise l'Évangile des Hébreux pour étudier la communauté de Jérusalem
  2. Montre l'importance de Jacques dans la tradition primitive

3. Daniel Boyarin (*Le Christ juif*, 2013)

  1. Analyse l'Évangile des Hébreux comme preuve d'un “judaïsme chrétien”
  2. Relit les fragments dans le contexte du judaïsme du Ier siècle

4. Petri Luomanen (*Recovering Jewish-Christian Sects and Q*, 2012)

  1. Compare les fragments avec les textes de Qumrân
  2. Établit des parallèles avec la communauté de la Nouvelle Alliance

Structure hypothétique

Basée sur les fragments et les parallèles avec les synoptiques, les chercheurs proposent cette structure :

1. Nativité (proche de Matthieu, sans éléments surnaturels) 2. Baptême (adoptionniste, voix “Mon Fils”) 3. Enseignement (accent sur Torah et justice sociale) 4. Passion (mort politique, pas sacrificielle) 5. Résurrection (apparition à Jacques) 6. Mission (pour les Juifs d'abord)

Conclusion

L'Évangile des Hébreux, bien que perdu, reste un témoignage irremplaçable de la diversité originelle du mouvement de Yeshua. Les fragments qui survivent nous rappellent que le “christianisme” aurait pu suivre une trajectoire radicalement différente : plus juive, plus ancrée dans la Torah, et plus centrée sur la justice sociale.

Comme le résume James R. Edwards : *”L'Évangile des Hébreux n'est pas simplement un 'évangile perdu' ; c'est la mémoire perdue d'une alternative chrétienne qui aurait pu changer l'histoire du christianisme.“*

Ces fragments continuent d'inspirer les théologiens et les historiens qui cherchent à comprendre les racines juives du christianisme et à imaginer des voies alternatives à la séparation entre judaïsme et christianisme.

Bibliographie sélective

- Sources primaires :

  1. Jérôme, *De viris illustribus* (392)
  2. Jérôme, *Commentaires bibliques* (série, 388-420)
  3. Origène, *Commentaires sur le Nouveau Testament* (série, 230-254)
  4. Épiphane, *Panarion* (374-376)

- Études modernes :

  1. Edwards, James R. *The Hebrew Gospel and the Development of the Synoptic Tradition*. Eerdmans, 2009.
  2. Bernheim, Pierre-Antoine. *Jacques, frère de Jésus*. Cerf, 1996.
  3. Boyarin, Daniel. *Le Christ juif*. Cerf, 2013.
  4. Luomanen, Petri. *Recovering Jewish-Christian Sects and Q*. Oxford University Press, 2012.
  5. Skarsaune, Reidar. *In the Shadow of the Temple*. Eisenbrauns, 2008.
  6. Ehrman, Bart D. *The Orthodox Corruption of Scripture*. Oxford University Press, 1993.

- Articles en ligne :

  1. Sim, David C. “The Hebrew Gospel and the Jewish-Christian Community”, *Journal of Early Christian Studies* (2011)
  2. Kinzer, Mark. “Post-Missionary Messianic Judaism and the Hebrew Gospel”, *Journal of the Jesus Movement* (2018)
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